Certainement le plus haut, sans doute le plus long,
incontestablement le plus éphémère, l'embranchement militaire de
Charpal était destiné à desservir un entrepôt sous-lacustre de munitions
qui n'a probablement jamais vu le jour.
On voit ici la plate-forme en tranchée
arriver en vue des eaux de la retenue.
Le Born, 26 juillet
2007.
Toutes les photos, tous les documents
sont de Romain DAVID.
'est l'histoire d'une ligne discrète et éphémère,
abordée brièvement dans quelques ouvrages. La reconnaissance du
patrimoine prend des airs d'exploration, voire d'exhumation.
1) Une archéologie
ferroviaire sur fond de documents top secrets.
L'existence de cette voie ferrée
répond à des
facteurs stratégiques et militaires. Après la Première
Guerre Mondiale, les autorités recherchent des lieux isolés, éloignés
de toute frontière, pour y entreposer des munitions. Le Massif
Central devient la région idéale. Les regards se portent
en direction d'un no man's land, le bassin de la Colagne, situé sur
un plateau d'estive lozérien.
Le prestataire du projet de l'armée, la Société Générale
d'Entreprises, prévoit deux aménagements :
- l'établissement d'une retenue d'eau, afin d'y submerger les
munitions,
- la construction d'une voie ferrée de 15 km, destinée à l'acheminement
des matériaux nécessaires au mur de barrage, puis des explosifs.
L'ensemble des travaux s'étale
de 1923 à 1929.
La ligne s'embranche au Translozérien à hauteur de Larzalier.
Ci-dessus, le chantier du barrage, perdu
sur un plateau dénudé.
Archives de la Lozère, pas de date.
Dans les années
1930, le projet militaire tombe à l'eau et les munitions restent
au sec. Une fois le barrage érigé, la voie ferrée
ne trouve plus aucune utilité, sa dépose a lieu courant
1938.
Le mystère plane au-dessus de cette ligne
en raison des renseignements succincts, pas de photos de sa
construction, ni de l'exploitation. Beaucoup de blancs persistent
pour deux raisons
:
- il s'agit d'un projet militaire à ne pas ébruiter,
- ce chemin de fer fonctionnel échappe aux inaugurations en grande pompe
des compagnies.
L'absence des documents techniques habituels
oblige au placement manuel des points kilométriques, repères
de base du ferroviaire.
" D'un nulle part à un autre, en
milieu hostile ", c'est ce qui résume la ligne de Charpal.
La région, exposée aux vents,
subit des hivers rudes, faits de précipitations neigeuses
et de congères. A ce jour, il ne reste plus rien des équipements
para-neiges se dressant le long de la voie ferrée.
Ci-dessus, un exemple d'écran
para-neige en béton à Vernassal, sur la ligne Vichy -
Le Puy, tel qu'on en trouvait sur l'embranchement militaire. 15
juillet 2006.
Le
tracé alterne
deux types de profil :
- de longues lignes droites en quasi-palier sur le Causse de
Montbel et à la
Mougayère.
Piste de Laubert. 26
juillet 2007 . Lorsque
le GRP du " Tour de la Margeride " rencontre l'embranchement
militaire, c'est le Massacre.
- des secteurs de fortes rampes doublés de courbes parfois très
serrées (Malaval et Froubaldèches).
Rampe de la Combe des Anes. 26
Juillet 2007 . Une
fois le seuil de la Cabane des Bergers franchi, la ligne dégringole
en direction du lac de Charpal.
Cumul des records de points hauts :
- l'origine de la ligne s'établit à Larzalier,
seuil du translozérien atteignant 1215 m d'altitude.
La bifurcation de Larzalier où le
Translozérien atteint, juste derrière la courbe, son point
haut de 1215 m. L'antenne de Charpal n'en est qu'à son début,
elle s'élèvera sur le plateau du Palais du Roi, qui barre
l'horizon. En hiver, les stigmates d'un temps révolu apparaissent
: la marque des traverses rappelle l'importance du lieu. 15
Février 2007.
-
ensuite, le Col de la Pierre Plantée représente " le toit de la France ",
car situé au contact des bassins-versants Garonne-Loire-Rhône.
L'ancienne maison de garde de la Pierre
Plantée, constamment exposée aux vents, même par
temps clair. Notre Dame des Sources, à gauche, accompagne le PN
durant les longues soirées d'hiver. La RN 88 tranche l'image ainsi
que la piste s' éloignant
dans la forêt en direction de Charpal. 3 juin
2006.
-
enfin, le point culminant est atteint à la Cabane des Bergers,
à 1388 m, un maximum en traction autonome.
Le petit chemin, en haut de la tranchée
agréablement fleurie, sert de déviation à la plate-forme
parsemée
de grandes flaques d'eau. Le regard porte vers Larzalier. 26
juillet 2007.
2 ) le patrimoine
ferroviaire restant : un nettoyage en règle .
Les cartes démontrent la
bonne conservation du linéaire. Il sert notamment à plusieurs
sentiers de randonnée (GR 43, circuit du tour de la Margeride
etc).
Deux randonneuses
tournent le dos à la
maison de garde de Larzalier, sur la seule section goudronnée
de l ’ancienne
ligne. 26 juillet 2007.
Les remembrements agricoles expliquent le grignotage
de la plate-forme sur le causse de Montbel. De la bifurcation de
Larzalier jusqu’à la
Boulène, l’ancienne ligne disparaît totalement,
sans laisser un quelconque indice de talus.
Les traces de la plate-forme s’effacent,
bien que placé exactement dans son sillage.
30 juin 2006.
La simplicité et la rareté du bâti s’expliquent
par la préférence de la SGE pour les talus et les tranchées
aux ouvrages d’art :
- les maisons de garde de Larzalier et de la Pierre Plantée
représentent les seuls objets ferroviaires significatifs.
Il ne reste plus de la maisonnette du PN
29 que les murs, pas de plancher au premier étage,
ni de toit, ni de volets. Le tas de pierre devant la façade était
un puits, maintenant comblé, tout comme la cave. Un lieu vidé de
l’intérieur, ôté de
son âme. 9 mai 2007.
Mieux lotie que sa voisine, le cliché renseigne
sur l’habillage cosy des bâtiments de la SGE. 26
juillet 2007.
- le reste du bâti se compose de petits aqueducs, cachés
en bas des talus, en piteux état, dont certains sont envahis par
la végétation.
L’embranchement militaire commence
juste à s’éloigner du translozérien, dans
le dos du photographe, pour franchir un cours d’eau temporaire.
A gauche, la direction de Charpal. 30 juin 2006.
Le bord du tablier s’écroule,
le lierre joue le cache-misère. Vers la droite, la ligne amorce
le tracé en épingle à cheveux
en direction de Charpal. 26 juillet 2007.
Un aqueduc situé au bas d’un
talus, que seuls les ruminants ont la prétention de pouvoir admirer.
A droite, la direction de Larzalier. 26 juillet 2007.
L’ouvrage, très discret et
sans entretien apparent, peine à se maintenir sous le poids du
talus et des années.
A droite, vers Charpal. 26 juillet 2007.
En passe de s’écrouler, le
double aqueduc a toutes les chances d’être remplacé par
un hideux conduit en béton. Au second plan, les pins de la Forêt
de Charpal recouvrent les anciennes prairies et « tempèrent » les
lieux de la tourmente hivernale. 26 juillet 2007.
-
aucune traverse nichée dans le
sol, pas de résidu de ballast, seuls quelques tire-fonds rencontrés
ici et là,
dont un dans la rampe de la Combe des Anes.
-
la localisation du terminus demeure incertaine sur le terrain.
Des ruines mentionnées sur la carte IGN, aux abords
de l’ancienne voie ferrée, restent introuvables. S’agissait-il
de constructions liées au chemin de fer ? Le talus semble se limiter
assez loin du barrage, à moins qu’il n’ait été arasé.
La plate-forme vue en direction de Larzalier,
le lac se trouve à gauche. 26 juillet 2007.
L’arbre prend ses aises sur ce qui
ressemble à l’ancienne ligne, doublée d’un
chemin. 26 juillet 2007.
C’est
l’histoire d’une
ligne oubliée, que la plupart des usagers de la RN 88 et des TER
Languedoc-Roussillon ignorent en passant à la Pierre Plantée
ou à Larzalier. Malgré les records égrainés
le long du parcours, l’embranchement militaire reste effacé.
Bibliographie :
Sur les rails des Causses et des Cévennes, BANAUDO José,
page 86, 2000, éditions du Cabri
La Lozère, 70 circuits de petite randonnée, Chamina,
page 173, 1993, Chamina
Tours en Margeride, FFRP, pages 68-71 et 98-99, 2001, FFRP
Carte IGN Le Bleymard 2738O, 1/25 000, 1986
Carte IGN Mende 2638E , 1/25 000, 2006
Carte Michelin n° 76, 1/200 000, 1925
Carte Michelin n° 76, 1/200 000, 1935
Carte Michelin n° 80, 1/200 000, 1932
http://www.culture.lozere.fr/